NOVA VITA

Observer, c’est choisir les questions qu’on pose au monde qui nous entoure.

Nicolas nova 1977-2024

Nicolas Nova nous a brutalement quitté à 47 ans, dans le désert d’Oman et nous laisse, ses amis, ses collègues de Techniques & Culture, dans la stupeur et le désarroi.

Chacun mesure depuis l’annonce de sa disparition, le vide que son départ suscite.

Le regard qu’il portait sur le monde lui restituait sa part de merveille, en faisant un immense cabinet de curiosité, un laboratoire de naturaliste, un atelier où les machines se montent et se démontent. Sur son bureau, sa collection d’entités, Guignol, E.T., les chats du japon et les figures de carnaval des alpes, un santon épouvantail et un Ganesh… des figures qui sont des objets, un imaginaire matériel.

Comment s’incarnent les mondes ? comment les vertiges les plus délirants, qu’ils soient individuels ou collectifs, se manifestent-ils dans des systèmes techniques ? Ces obsessions à la fois théoriques et pratiques font de Nicolas un lecteur de Techniques & Culture dont – en bon amateur de fanzine – il collectionne les premiers numéros.

Au cours des sept années qu’il a passé à nos côtés, Nicolas a fait basculer la revue dans une vie nouvelle, en appliquant nos questionnaires au monde numérique, au cultures de gamers, de hackers, aux fans de musique 8-bits et de retro-engineering, théorisant aussi l’apport du design et de la création aux enquêtes ethnologiques. Il rédigeait ces dernières semaines l’introduction d’un numéro consacré à la Digitalisation du monde, qu’il co-dirigeait.

Démonter, extraire, combiner, remonter, ces quatre verbes ne sont pas que le titre de l’un de ses articles, ils disent aussi un rapport au monde, à la fois pratique et poétique. Nicolas avait forgé une série d’outils permettant de développer une attention nouvelle à l’ultra-contemporain, aux étranges rituels dans lesquels nous sommes embarqués à notre insu, souvent par les objets que nous manipulons, et aux infimes transformations historiques qui s’immiscent dans nos vies.

Avec son manuel Exercices d’observation, Dans les pas des anthropologues, des écrivains, des designers et des naturalistes du quotidien², il renforçait la coopération entre les éditions Premier Parallèle et Techniques & Culture et partageait sa boite à outils, nous apprenant à écouter par-dessus l’épaule des gens dans le métro et à voler la poubelle des voisins pour en faire la sociologie.

Ces dernières années, son œuvre prenait une nouvelle dimension à la fois plus sensible et plus analytique, où les différentes facettes de son travail s’articulaient sur un mode inédit. Dans Fragment d’une montagne, Les alpes et leur métamorphoses, la forme du carnet de voyage lui permet d’évoquer les entités invisibles des montagnes décrites par les folkloristes comme Charles Joisten et dans le même temps, les tout aussi insaisissables systèmes sociotechniques que sont les grands tunnels alpins.

Cette articulation entre l’imaginaire et la technique, entre l’histoire et l’ultracontemporain est théorisée dans son ouvrage Persistance du merveilleux, Le petit peuple de nos machines, remède salutaire au prétendu désenchantement du monde. Ce dernier livre laisse deviner où Nicolas nous aurait emmenés, dans les nombreux ouvrages, numéros de revues, expositions qu’il avait sur l’établi…

Nicolas avait dans les mains des clés pour notre monde. Qui pourra faire les liens entre les réparateurs de portables et les folkloristes du XIX^e siècle ? entre Rabelais et les jeux vidéo ? nous apprendre à faire l’archéologie du futur ?

À nous désormais d’arpenter les chemins ouverts par ce grand penseur de notre temps tout en joie, en trouvailles, en humilité et fulgurances.

Pierre-Olivier Dittmar pour la rédaction de Techniques & Culture

Nicolas Nova dans Techniques & Culture

Crédit : Vytas Jankauskas, Voyage à Chamonix, le 27 avril 2024. Nicolas teste un outil d’observation fait par studio Artefact. 

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